METEORA

METEORA

 

«  La céramique porte en elle une espèce de vérité parce qu’on en fabrique depuis 10 000 ans.

Elle contient du temps. »

Ettore Sottsass

 

J’ai voulu dans ce projet offrir du temps et de l’espace à mes bols. La céramique, elle, est temps. Temps géologique de la formation des argiles, des feldspaths, des oxydes. Temps dans l’atelier, de façonnage, de réalisation, de séchage. Temps de cuisson, de transformation chimique, de refroidissement. Temps d’existence : un bol peut durer toute une vie, et même bien plus. Il peut ainsi nous parler du temps passé, lorsque l’archéologue le trouve dans le sol. Temps fragile aussi, qui le rend plus précieux.

Créer un socle, pour arrêter le temps et découper un espace. Créer le calme en isolant l’objet : ce retrait du monde vers un lieu idéal chanté par Baudelaire dans L’invitation au voyage. Par le socle, nous donner la chance d’observer. Un espace défini, pour accueillir le bol. Comme un paysage, un refuge, un nid : pour l’objet et pour nous. Calme, stabilité, immobilité. Le bol et son socle comme un outil de méditation. Et le silence du matériau.

Il y a quelque chose du jardin zen dans ces socles, raffinement simplificateur: la nature en miniature, stylisée, réduite au plus simple par le thermoformage; le paysage dans son essence, formes dont on ne reconnaît plus l’échelle. Réduire la complexité, pour nous laisser ressentir le moment. Un paysage comme une scène, pour donner à voir.

Mes bols bullés nous ramènent aux météorites : ces dernières sont cabossées, impactées, fondues, on ne connaît pas leur provenance et on doit chercher pour connaître leur composition. Elles sont plus précieuses que l’or, mais on les ramasse dans les déserts. On peut marcher à côté d’elles sans même les voir. Si André Breton ne s’est pas trompé, « la beauté sera convulsive ou ne sera pas ». Ma recherche intuitive des bulles, des cloques, des surépaisseurs, des dégoulinures, est un jeu voluptueux avec les qualités physiques du matériau, une quête sensuelle de sa beauté brute et tourmentée. Mais c’est aussi une sorte d’alchimie amoureuse réfléchie dont le ponçage au diamant, après cuisson, révèle l’ordonnance secrète. L’enjeu consiste à tenter de faire avec des défauts de la beauté. Trouver ce plaisir profond donné aux sens par l’objet concret, les phénomènes physiques; à goûter dans toute sa plénitude.

En cela mes bols renvoient à ce lieu lointain dont parle le poète et où « tout n’est que luxe, calme et volupté ». Ils sont une invitation au voyage cosmique comme dans le poème. S’unir, en pensée au moins, à l’altérité, peut-être même la plus lointaine, céleste.

Ces objets ne sont donc pas instantanément intelligibles.

Leur beauté est exprimée dans chaque détail.

Seul l’œil curieux, habité de désir, les recevra pleinement.

Si on lui en donne le temps et l’espace.

Le luxe en somme ?